dimanche 17 avril 2011

Jack Tramiel - Seul maître à bord


Jack Tramiel, grand patron de Commodore, a passé les rênes à Irving Gould. Il quitte une compagnie florissante. Comment a-t-elle pu arriver à des résultats qui font pâlir d'envie la concurrence?




Le secret de la réussite de Commodore tient avant tout à ses méthodes de production, organisée à l'échelon international. En Grande-Bretagne la firme a ainsi monté, dans l'ancienne ville sidérurgique de Corby, une usine très moderne, avec l'assistance financière du gouvernement britannique : elle devrait s'agrandir prochainement. Elle emploie deux cent cinquante personnes et produit cinq mille ordinateurs par jour. Comme toutes les usines de Commodore, elle bénéficie d'un approvisionnement assuré en semi-conducteurs : ils sont produits par la maison mère elle-même. Commodore est une organisation énorme et peut, au besoin, imposer des conditions draconiennes aux autres fournisseurs : dans certains cas la firme ne paie que la moitié du prix demandé aux autres
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Une position aussi solide doit beaucoup au succès du CBM PET {Personal Electronic Tran-sactor, « opérateur électronique personnel »). L'appareil était dû avant tout à Chuck Peddle, qui prit à cette occasion trois décisions importantes. La première était de construire la machine autour du microprocesseur 6502; la deuxième était d'y implanter le basic Microsoft; la troisième était de le doter d'un véritable éditeur d'écran, bien plus maniable que les simples claviers manipulés avec passion par les premiers amateurs depuis l'apparition des premiers microprocesseurs vers le milieu des années soixante-dix. Aujourd'hui encore, l'IBM PC, ordinateur « de nouvelle génération », est dépourvu, dans sa version de base, de ce dispositif...

Commodore était bien placé pour fabriquer un tel appareil, puisque MOS Technology, détentrice des brevets du 6502, lui appartenait. C'était là une position exceptionnelle : les deux concurrents du PET, le TRS-80 et l'Apple II, faisaient usage de ce microprocesseur, ce qui permettait de leur tenir la dragée haute. Mais la naissance du PET n'eut pas lieu sans difficultés. Contre l'avis de Peddle, Tramiel insista pour que les composants mémoire soient aussi fournis par MOS Technology; il s'ensuivit un vif affrontement entre les deux hommes, puis le départ de Peddle.

Le PET est aujourd'hui un ancêtre vénérable. D'abord logé dans un boîtier d'acier embouti (comme les meubles de bureau), il a ultérieurement été relogé dans un ensemble en plastique plus moderne. La version la plus récente est celle de la série 8000, qui peut accéder à une mémoire de 22 mégaoctets sur disque dur. En dépit de son âge, l'appareil se vend encore remarquablement bien aux consommateurs prudents, qui en apprécient la facilité d'emploi et ne voient pas de raisons de passer aux ordinateurs de bureau construits autour du 8088 d'Intel. Les fournisseurs déclarent même, à leur grand étonnement, qu'il est toujours compétitif face à l'IBM PC.

Il y a là une certaine part de hasard. Commodore, Apple et Tandy furent les premières firmes à proposer un ordinateur personnel d'emploi aisé et de prix raisonnable. Mais, une fois que Commodore s'est trouvé un client, il ne le lâche plus. A la fois par conservatisme et par désir de limiter les prix de revient, la compagnie ne s'est jamais souciée d'accroître les possibilités de ce qui n'était qu'un appareil pour amateur. Aussi, bien des programmes du PET peuvent-ils tourner sur les machines actuelles, tandis que le basic 2.0 de Microsoft reste très largement ce qu'il était du temps de Chuck Peddle.

Malheureusement pour ceux qui veulent aller plus loin, le 2.0 de Microsoft fut mis au point à une époque où le son et le graphisme étaient un luxe inabordable pour un ordinateur bon marché. Le Vic-20 et surtout le Commodore 64 en sont désormais très bien équipés, mais il leur manque des commandes spécifiques, ce qui impose de fastidieuses séries de POKE dans les adresses mémoire. Il est vrai qu'on peut toujours recourir à des programmes spécialisés installés sur cartouche. Commodore en propose en grand nombre.

C'est en partie grâce à un approvisionnement en composants assuré que la firme de Jack Tramiel est sortie victorieuse de la guerre des prix qui fut fatale à ses concurrents. Texas et Mattel se retirèrent du marché des micro-ordinateurs, et Atari est toujours en convalescence depuis un an ou deux. Commodore pouvait annoncer des baisses importantes sur les matériels et les logiciels et faire encore des bénéfices : il fut un temps où ses cartouches étaient vendues le tiers du prix moyen de celui de ses adversaires. Une production ultramoderne, automatisée, des composants peu coûteux, tout cela était le résultat de vingt ans d'expérience. On dit que le coût de production d'un Commodore 64 est inférieur à 500 francs...

Cette position dominante ne doit pas grand-chose à la chance. Commodore a connu des moments difficiles et a été deux fois au bord de En 1975, après deux décennies consacrées à la vente d'équipement de bureau, Commodore faillit succomber lors de la féroce guerre des calculatrices, que les Japonais finirent par remporter. Mais Tramiel, que ses méthodes de gestion font à la fois craindre et respecter, ne s'avoua pas vaincu. Il se rendit compte que le marché de l'ordinateur personnel existait, engagea Chuck Peddle en 1976, et en moins de dix ans multiplia par cinquante la valeur financière de sa firme.
Commodore, malgré sa puissance industrielle et commerciale, a une grosse faiblesse : la recherche. Sa philosophie a toujours été : « Nous vendons aux masses, pas aux classes », et Tramiel pensait que le client achèterait forcément ce qui offrait le meilleur rapport qualité/prix. Mais produire aux prix les plus bas possibles n'est peut-être pas un moyen très sûr d'intégrer les derniers progrès de la technologie. A la fin de 1982, plusieurs membres de la petite équipe de chercheurs de la firme la quittèrent en bloc, et, depuis, elle s'efforce de racheter des brevets aux autres. Elle a ainsi conclu des contrats en Extrême-Orient pour des lecteurs de disquettes, a engagé des pourparlers avec des compagnies comme Sony pour se procurer de coûteuses technologies « de cinquième génération », comme un système de reconnaissance de parole, des mémoires sophistiquées ou des robots domestiques.

En 1984, Commodore reste plus confiant que jamais, et continue à faire de la simplicité et du bon marché ses principaux arguments. La firme a présenté récemment deux nouveaux appareils construits autour d'un nouveau microprocesseur, le 7501 : il s'agit du 264 et du V-364, ce dernier étant équipé d'un synthétiseur de parole, avec un vocabulaire de deux cent cinquante mots. Conformément à la tendance actuelle, traitement de texte, tableur et graphisme seront disponibles en option.


Les grandes dates de Commodore

1977
Le PET fut le premier micro ordinateur grand public. Il se vend toujours très bien, après de nombreuses améliorations.

1979
Le Vic-20, premier microordinateur Commodore très bon marché, a réussi sa percée en dépit de ses limites et d'une très forte concurrence.
Le SuperPET (ou CBM 9000) était une tentative de modifier totalement le PET original afin d'en faire une machine de bureau.

1981
Le CBM 8032 offrait un affichage de 80 caractères, ce qui lui permettait de faire tourner des logiciels commerciaux sophistiqués

1982
Longtemps attendu, le CBM 700 doit remplacer le 8032 et permettre à Commodore de se maintenir sur le marché des ordinateurs de bureau.

1983
Le Commodore 64 met fin
aux restrictions dont souffrait le Vie, en proposant un affichage de 40 caractères et 64 K de mémoire.

1984
Le SX-64 est une version portable du 64, dotée d'un écran couleur et d'un lecteur de disquette intégré.


Jack Tramiel
Jack Tramiel, longtemps président de la compagnie, en a toujours été l'âme. Sa redoutable compétence commerciale va manquer à Commodore, maintenant • qu'il n'est plus que « conseiller à temps partiel ». 

Chuck Peddle
Chuck Peddle a conçu à la fois le microprocesseur 6502 et le PET qui l'abritait. Il partit ensuite fonder sa propre compagnie, qui produisit le Sirius, un 16-bit orienté vers la gestion.

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